À la recherché de l'Europe Interview avec Jacques Delors

...Je distinguerais deux choses dans la construction de l'Europe : il y a, d'une part, l'Europe des valeurs ... Car la coexistence de ces courants religieux a conforté l'idée qu'il ne fallait pas continuer avec l'antagonisme et la haine et construire le pardon qui n'exclut pas le mémoire des tragédies passées. En ce sens, l'Europe, pour parler vite, est une construction social-démocrate et chrétienne-démocrate. De l'autre, il y la construction européenne comme modèle pour réfléchir sur la globalisation. L'ONU pourrait s'intéresser à la façon dont nous avons accepté de gérer ensemble une partie de notre souveraineté sous l'égide du Droit.

Ce qui distingue l'Union européenne de l'Europe du Conseil de l'Europe. En effet, ce transfert est la spécificité de l'Union, dans le fait que nous bâtissons des solidarités ensemble, nous sommes solidaires de facto, entre nous existent des solidarités réelles, des solidarités qui coûtent. Pas des solidarités qui rapportent seulement. Là, si vous voulez, vous payez si ça ne va pas. Vous payez parce que vous avez fait une entorse à la concurrence, vous payez parce que vous vous êtes mal conduit sur le plan des coûts, et enfin vous êtes menacé d'un carton rouge si vous ne respectez pas les accords et les règles établies. D'ailleurs, il faudrait dire à la Bulgarie et la Roumanie qu'elles doivent mettre en ¦uvre l'insertion des Roms avec l'argent que la Commission a consacré à cet objectif, sinon ce serait un carton rouge. Ceci dit, il n'en reste pas moins scandaleux la façon dont sont traités les Roms en France et en Italie. Bien sûr, les Roms ne peuvent pas aller n'importe où, mais de là à détruire leurs lieux de résidence et les forcer à rentrer en Roumanie ou en Bulgarie, c'est scandaleux. Ce sont donc des "solidarités concrètes de fait" qui touchent le citoyen essentiellement par le biais de l'économie. L'Union européenne a été construite sur ces bases. Certes, l'application de ces principes, dans l'Union européenne peut provoquer des divergences et des crises, mais celles-ci sont limitées parce que nous acceptons la primauté du Droit.

... En réalité, par la construction de l'Europe, nous avons, me semble-t-il, un système en avance sur le monde. C'est ce qu'il faut faire comprendre aux citoyens. Mais nos politiques ne voient que le court terme et les mouvements de l'opinion publique. Par conséquent, il y a deux éléments qui font défaut : la connaissance de nos valeurs communes et le défi qui est lancé à l'Europe,. Ces deux éléments sont une question de survie ou de déclin face à la globalisation et face au nationalisme par fascination de petites différences, ce défi s'adresse aussi à la puissance la plus importante, l'Allemagne.

source: http://www.eurozine.com/articles/2011-07-01-delors-fr.html